dimanche 8 mars 2020

AF705 - 8 mars : premiers symptômes

Mankono
Tu viendras à Mankono, petit bonhomme. Plus grand que toi y a ravi sa vie, futé voleur qui s’en défend. Plus grande que toi est restée là, en déshérence d'un petit abandon coupable. Te concernant, néant : tout reste à définir.  
Au Placali-café, chez Omonon Bete, tu prendras le poisson grillé. Inutile de t’y attarder ou d’y revenir. C'est là juste une étape nécessaire au récit. Un marqueur de présence. Un porteur pour la fièvre. Une carne qui magnifiera le symbole…

De lointaines racines sont éparpillées là, petites fleurs blanches, richesse de la nation. De plus petites encore, petites comme des souvenirs, petites comme des ombres, feront travail de galerie dans ce symbole. A toi les fièvres. Rêves de vieux chromos familiaux, crampes d’estomac. Mankono est un corps qui souffre.


Marc
A ce moment ce n’était encore qu’une grippe chinoise. Le monde continuait rond son petit délire de chemin. Hommes. Navires. Tout ça. Rond. Sans anicroche. 

J’ai embarqué pour une mission de plus, un départ de mieux. Volé depuis Bali la belle, revoir ces vieux rivages. Nous échoit la mission la plus absurde, couper, détruire, jeter par le fond. Sans oraison funèbre, abattre le dispendieux travail de nos prédécesseurs. Du bucheronnage. 
Camarades bucherons et moi : à nos pinces ! 

La première a implosé, signe précurseur du tout ? 
Petit grincement d’un grand claquement à venir ? 
Pour la deuxième tentative nous emploierons un disque au tungstène de trois cent cinquante-cinq millimètres. L’idée me transperce que ce disque en mouvement ne nous sauvera pas du naufrage. Je rentrerai bientôt. Pourquoi bientôt ? Auprès de cette femme. Pourquoi celle-là, peut-être une autre. Ou aucune ? Alors que j’observe les opérations sous-marines sur les écrans de contrôle, une part de doute surgit et enfle. « Rupture imminente », me souffle l’opérateur… 


BE805
Moi et les coques de ma classe, fringantes ambassadrices du siècle mondialisé, allons massives, nombreuses, éparpillées sur tous les rivages. Après avoir échoué dans la vanille et le rhum, la machine industrielle a abandonné nos carcasses ici et là.
Dans la baie d’Abidjan les Bourbons s’alignent, coque contre coque. Certain à l’échouage, d’autres au mouillage. On m’a sorti de cette mauvaise léthargie sans grosse promesse. Un petit coup de graisse, léger trait de peinture : retour sur étagère. 
Il reste assez d’acier sous la rouille pour cette mission. Allons cajoler les grands fonds… Full ahead ! 


Directeur
Au beau milieu du grand continent noir, la CIDT cueille cette précieuse fleur pour la magnifier sur chaque corps, dans toutes les couleurs du monde.  

Mon père avant moi, et le père de mon père, ont donné à l’absurde génie des fleurs. Certains doigts de mon cousin sont partis teinter de carmin le fruit de notre terre. Son sang persiste sans doute dans la trame d’une étoffe loin perdue au bout du monde. Mon peuple et ma tribu surnagent dans ce flot bariolé où cycle des saisons, abondante fleur blanche et pouvoir des esprits se transforment en nippe.

Au milieu de toute cette magie, comme la fin de la récolte approche, un autre symbole m’a parlé. Son souffle a dit : je viens pour la mémoire. Comme moi sa parentèle est liée à la fleur. Son image s’est révélée sur le blanc vif du ciel. 
Alors le vieux gardien a regardé cette âme. C’était un blanc habillé de coton beige. Chemise simple, tâches et poussière. Trainant manifestement fièvre et diarrhées. Dans le reflet de son œil bouclait un cercle. Il est reparti avec nos images
    et l’ombre de Mankono

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