mardi 24 février 2015

AF671 - 24 février : ultramarin deux trois quatre

On est tombés sur la ville comme quatre fous.
Comme un grand fou plié en quatre.
Chacun a pris un quartier, qu'était enfin un quart de la chose, puis tous avec son nouveau truc on a défini la gouvernance. Il faudra jouer, que du jeu ! Souffrir jamais trop, sourire beaucoup. Et prendre d'insouciants coups de soleil les lendemains de cuite... La ville est à nous.

Un frère. Il y avait d'abord un frère. Puis deux puis trois puis quatre.
Mais d'abord il y a un frère, c'est le début, il faut bien commencer par quelque chose.

Il surgit du néant. D'abord il n'est pas là puis l'instant d'après, le voilà. Sorti d'une carlingue flamboyante sans passer par la case de l'enfance, les autres qui le découvrent l'ont toujours connu plus grand. L'histoire est ainsi faite d'une bonne couche de relativité.
Nous qui lisons toutes les pages de toutes les histoires depuis l'origine savons qu'avant il n'y avait rien, que le papier 50gr/m2, blanc à filigrane. Mais eux, les plus petits, désormais aussi grand, voire plus, ne savent que ça : une apparition, comme surgite du néant.


Ensuite sont venus les autres.
Fruits de la reproduction sexuée dont on connaît le délicieux principe sans trop jamais la conséquence, et dont voici l'aboutissement. D'abord unique, puis doublé, enfin : trois frère. Avec l'apparu ça fait quatre, si mes comptes sont exacts. Compte rond, jolie troupe.

Tout autour il y a des gens. Des gens qui partent, des gens qui restent.
Il y a aussi de l'eau et des requins.
Le requin. Enfin un prédateur pour l'homme.
Le requin arrive pleine balle, les dents toujours impeccablement plantées, bien nettes, c'est un truc, on peut jamais lui reprocher. Il saute sur la grève et commence un petit fox trot du meilleur effet, car le requin est bon danseur, et encore, il progresse, chaque fois un peu mieux l'animal, bientôt dans les salons ce ne seront plus qu'animaux à chaussures vernies, tout juste quelques hommes timides sur le banc de touche.

Il danse et de temps à autre attrape une boulette de viande, une humaine, de préférence, et la fait sauter sur son nez. Qu'ont donc tous les animaux à se chercher un ballon, un championnat, une coupe, serait-ce donc qu'à tous il leur faut cette baballe ? C'est complètement con, même cet élégant poisson veut sa poire pour la soif, alors il va il vient mais ce jour là n'attrape rien. Ni les gens, ni les frères. Un peu déçus, bien contents tout à la fois de ne pas perdre 5 membres inutiles et la vie qui se range dedans, on va s'ébrouer au soleil et vite reprendre le récit.


Tout autour les gens sont là, cependant dans mille ans il n'y aura plus rien, ni toi, ni eux, de tout ça.
On peut gloser, causer, passer une vie à faire et défaire l'écheveau des possibles. Ou agir ? Vite agir. Baiser ! Toujours baiser, beaucoup et bien baiser. Vivre ce qu'on peut et laisser venir.
Ou rien.
Cependant dans mille ans, ni le stylo pour se pendre. C'est demain, mille an, ça vient rapidos on ne se méfie jamais assez des millénaires, tu commences à lire un blog passionnant, ou réparer une machine diablement complexe, brosser trop soigneusement chaque dent sur chacune des cinq faces, voilà que tu relèves les yeux : poussière et ride, mille années ont passé, comme ça, hop.
Les gens, cependant. Gens qui part est parti dans un ailleurs – le même qu'ici, mais différent, tampon de la poste faisant foi. Gens qui reste est parti aussi, sans mouvement le moindre. Bien immobile, tous ses yeux biens fermés au monde, mais surtout : immobile. Echappé.
Gens qui part revient un jour, toujours revient mais jamais ne retrouve son double de pensées, laissé, échappé...

Ainsi les gens, ainsi les frères. Comme nous tous, chaque frère est dual. L'une part, part, l'autre part, reste. Tous et chacun à la fois racine et volute, désunis jusqu'au moindre détail.
Toujours mécontent d'être l'un et pas l'autre, l'autre sans l'un, jamais les deux, je gémis, me lamente, tous nous lamentons. Ce torrent de protestations réunies forme comme le fond diffus de la vie. Grognement expiatoire des éternels insatisfaits. Et le bonheur ? Flotte comme l'écume partout où ça remue un peu. Vas-y pour le saisir, c'est coton. Bel et beau, bien visible, mais drôlement dur à choper.


Il y a des gens, et quatre frères. Vous aussi ? Moi non plus. Je ne sais plus trop où j'en suis.
Quatre gens, ou des frères ? On avait la ville, chacun dual, ce qui fait huit. Je retiens deux.
Tout, beaucoup et trop, mais en somme : il n'y a plus rien. Plus rien, pas même l'idée, qu'était partie avant que le stylo ne touche terre.
L'idée née d'un échange. Le voyage né d'une idée. Il y a toujours une idée au début du voyage, qu'est jamais la même au retour, tu sais ? Comme le frère, comme les gens.
Le voyage sans idée c'est bien, à condition qu'il soit rugueux, le truc, qu'on trouve à y redire, qu'il s'y passe et plus et mieux encore, des trucs, des anodineries bien sérieuses, avec sillons bien profonds.
De toute manière on s'en fout, car l'idée du retour n'est jamais celle du départ.
C'est la tête vide du lendemain de nuit blanche.
C'est je sais pas, je rentre, sans réfléchir, grégaire et demi.
C'est vite vite vite un transport, un pain au chocolat, il faut.
Dur de faire la part de tout ça, est-ce que l'idée survit au voyage ?
Est ce que l'idée voyage ?
Est ce que l'idée tout court ?
Toute courte l'idée du début du voyage, qui l'initia, créant besoin ou fondant raison, on dira d'elle, tiens, c'est l'idée besatrice. Le voyage commence alors, avant le déplacement, dans les méandres d'une pensée mal embouchée.

Aussi l'idée, ou plutôt son absence bien avérée, est tout ce qu'il reste. Esprit vide bien rincé du retour à la capitale.
Penser tient ma valise.
Penser zut mes papiers.
Penser vite un transport. Vite la ville. Tiens, un pain au chocolat. Aaah un café.
Penser il faut tourner la clef comme ça dans la porte.
Penser à rien. Ne plus penser à rien, voilà.
L'idée rincée, l'idée est resté en voyage, peut-être.

A l'origine de cette éruction verbale, il faut une raison. Faut-il une raison ?
Je marmonne un truc, j'ai piscine, je fais, ya fête aux Sabines, et file m'enfiler une nuit d'avion sans sourciller. Faut ça. On devrait tous tomber comme ça, vlan, disparaitre reparaitre dans un autre, dans un ailleurs, jamais trop savoir ni quoi ni où
juste disparaitre
reparaitre
tous
un jour.

mardi 10 février 2015

AF185 - 10 février : life is good

Ici et là, tout libre que nous soyons de gagner nos vies,
bien ou mal, trop ou pas assez, chacun cherche, certains trouvent, paraît-il. Voire parviennent à subvenir.
C'est l'échelle de nécessité.

L'échelle de valeur, pour sa part, est sans rapport au réel. Elle est une extrapolation de nos égos mis bout à bout, bouts flaccides mais indénombrables, échelle divergente des fortunes contemporaines.

En matière de valeur et de biens, le libre arbitre n'est pas de mise. Tout contraint, tous forcés d'acquérir tout et plus, tant et bien, bien que mal, et plus si affinité.



Ainsi va-t-on, libres et contraints, d'autant plus contraints qu'on use de l'illusion de liberté. Ainsi de la liberté d'aller pousser des carrioles en fond de mine. D'autant moins libre qu'on va profond. D'autant plus contraint qu'on ose pas. D'autant plus idiot qu'on ne parvient pas à jeter cette paire de chaussure, qui pourrait servir, un jour, si on voulait. Un jour, si on pourrait. A s'échapper, peut-être ?

L'instant suivant, l'homme contraint va joyeusement pousser d'autres carrioles dans les allées d'un supermercado d'Amérique du Sud. Mais ça, c'est déjà une histoire ancienne. Bonnes affaires d'une année révolue.

Mettre les chaussures.
Partir loin, s'arrêter bien.
Trouver le trou de souris.
S'y blottir puis y aller d'une petite apnée, les yeux fermés. Voilà peut-être l'apanage du déporté volontaire : un autre trou dans le sol, une cachette où même les appels tonitruants du haut-parleur ne me parviendraient plus.
Attention – attention. All personnel
vessel is entering the five hundred meter zone
hot work or open flame are no longer permitted

La cachette, comme l'arrêt, aurait pu être n'importe où ailleurs, dans n'importe lequel de ces vides que ménage l'existence. Mais ce jour là, dans ce lieu ci : pourquoi pas ? Il était donc ce café, il y avait donc une ville. Tout autour. Ténue scintillation de la lumière. Voilà : le mode décorrélé, superbe, et la foule des inconnus.
Ici et là. Tous libres.



Chassé le brouillard d'illusions nauséabondes, toute notion de liberté abolie, apparaît l'idée de bonheur. Life is good, dit la réclame. Good surtout pour l'acheteur de ce truc là, l’acquéreur de ce machin-ci. Est-ce une blague ? Comme tout le reste, c'en est une.

Tournevis, marteau. On verra bien.
Tous bien démontés le truc et le machin qui clamaient haut et fort taisent enfin leurs promesses d'absolu. De leurs entrailles fumantes l’œil mécanique révèle quelques jolis assemblages. Au centre de chacune des machines deux éléments incongrus, l'alpha et l'oméga, portent le secret de l’hégémonie technologique. En petit caractères sur le flanc de l'un : LIFE. Gravé finement à la surface de l'autre : GOOD.
Comme il se fait un peu tard, je pousse toutes ces bricoles de la surface de la table. A la poubelle, l'enchantement ! Bien futé le mec qui saurait en rassembler les morceaux.



Ainsi du mode décorrélé. Tout est là, rien à sa place.
Sinon la tête, sur l'oreiller.
Tout good. Life rien. Is - is - is, par boite de douze. Pléthore de lundis comme un rosaire. Un mur entier de dimanches à suçoter, tu veux, dis ? Je t'en prête un ?

Un jour, après avoir bien usé la contrainte de liberté, un avion me propulse dans son corollaire obligatoire. L'acquisition à outrance, c'est pas de la tarte. Le pas lourd, la tête basse, vaincu d'avance par l'ampleur des malls de cette ville, j'avise un truc fabuleux. Lourd et fragile, à s'en péter les vertèbres. Un reflet de l'âme, j'ai cru. A coup de légère fluorescence violette des composants, la promesse d'un ailleurs, d'un meilleur.

Chargé de ce truc, marcher devint improbable.
Prendre le métro, une gageure. Un bus nous porte en soufflant jusque Chungking Mansion.
Arrivé là, un vieil indien me fournit le sac de voyage adapté. Pas cher, en toile. Sans roulette. Un détail, la roulette. Mais aussi une économie qui méritera d'être regrettée. Ces économies, ces détails, ces transports qui tous ensemble forment le récit, le fond de trame, petit bouillon à peine suffisant pour un risotto, cependant forme jolie, et voilà. Le sac se ferme, le sac s'épaule.

Ne restent plus que 10 000 km avant le point final. Long comme un retour, long retour à la vie... A chaque pas un petit craquement, à chaque craquement une vertèbre tirait sa révérence, échappait à la colonne infernale. J'ai bien ramassé les premières mais ce furent vite trop d'os, pas assez de main, que faire de tout ça ? Tout bricolage s'avère vain ! Continuer, rien que ça, pas moins que ça, voilà.



Les petites inutiles dispersées le long du tropique forment le pointillé du retour, c'est déjà une perspective, un autre départ !

Au matin suivant il restait l'homme, oh, pauvre homme, pauvre reste. Au milieu des petits fragments de la personne que sont la joie, la vie et le précieux paquet impondérable, ne brillait plus que la fatigue. Toute cette charge infinie charge, et au bout du corridor : la frontière.

Saluons la frontière.
Pas le paillasson, pas la ceinture périphérique. La seule vraie frontière, vraie du retour, pleine d'hommes pleins d'yeux pleins d'instincts, chacun observant au travers de nous, moi, tous les autres, et des sacs, surtout des sacs!, surtout des sacs en toile de Chungking Mansion, regard amusé, déjà, par l'angle bizarre de la colonne, et l'air de dire,
ah, bienvenue, libre ou contraint,
avez-vous fait un good voyage ?

___
Est-ce parce qu'aujourd'hui la lumière est différente ? 
Est-ce parce qu'il n'y a pas plus de neige aujourd'hui qu'hier ? 
Est-ce parce que quelque chose a changé ou est-ce parce que rien ne change ?