mardi 24 juillet 2012

AF 2487 - 24 juillet : première frontière du sabbat

Bonne nouvelle ?
Les avions volent
La vie continue

Est-ce lié au choix d'écrire en érection, stylo levé, sans les mains ? 
A cette itération, quelque chose de la rémanence coutumière a quitté la ville. Une absolue déliquescence transparaît dans les coins où désormais le vernis fait défaut. La flaccidité menace. Les yeux me brûlent. Je suis inquiet. Avant longtemps la vermine grouillera...

Et pourtant ! Pour un départ en beauté, premier de longue date, nouvelle série, tous les éléments étaient réunis. Il y avait le contrôleur, le même!, toujours!, et : son sourire. Son sourire... 
Juste poli et un peu plus. 
Un petit peu trop. 
Un brin surpris de me revoir, presque déçu de m'attraper, il a établi le procès verbal sans un mot, sans un regard. Puis annoncé : 
« Voilà. Vous validerez ce coupon à l'arrivée. » 
Au départ, j'ai grogné, en réponse, au départ !
Il a ajouté : « Et n'y revenez plus »... Alors comme le froid d'une lame, la porte de l'avion s'est refermée.


C'est lié. Tous ces liens, trop de liens... Lié sans doute au début du sabbat. Voyager sans raison d'aller  ni venir, sans échéance, instille vite l'idée que : rien. Nulle part. Jamais ! 

A cette première frontière du sabbat, j'annonce au douanier : 
professional occupation – aucune !
aim of the visit – rien !
Voilà de quoi il s'agit - devenir inutile. Parfaitement inutile. Normalement inutile. Improductif du matin au soir. Stérile pour le monde. N'être plus au monde. Plus plus.
Premier malaise, alors, lorsque l'absence s'impose au milieu d'une foule. La première inclination s'impose : céder à la fuite. Partir sur invitation explorer la frange est du front dépressionnaire européen. 

Pour ce été de tous les sabbats j'ai laissé à mafemme, à maboulle, ainsi qu'à toutes les charmeuses de serpent : quartier libre. Toute latitude et entière jouissance. Même ce rôle ne m'échoit plus. La ville regorge de testostérones. 
Les enfants ? Annulés, les enfants ! Mieux que mes contemporains, je pratique le noeud de caoutchouc, comme une parenthésite dans l'existencialisation. 
On nique, on nique, puis on jette. Méiose n'est plus qu'un nom commun, un sujet de pauvre conversation. Le Courbevoie du matin roulera sans moi ! Il n'y a plus ni paroles, ni actes, ni partages, ni émotions, nuls plaisirs... Autorité, exigence, cohérence, continuité : un noeud ! 

Alors le voyage commence vraiment. 
Et au fil du voyage l'injonction du contrôleur doucement s'impose. Je ne saurais trouver aucune raison implacable de rentrer à Paris. Aucune non plus de rester ici. Inutile en fuite, te voilà bien pris ! 
Que faire du temps qui reste, lorsqu'il en reste tant ? S'enivrer. Refaire le monde. Fuir éperdument. Chercher le rien subtil, le gel de l'horloge ? Vivre l'angoisse. Écrire le désarroi.


A une frontière, j'abandonne Meuhland et la brocolinette. Ses cheveux qui poussent. Son sourire. Ce doux entre-nous. 

A la suivante toutes les bières sont servies en demi-litre. Une fraudeuse se débat vainement dans le tram. On sert un sernik savoureux à la découpe, 50 Kq (krivnis) le kilo. Je rêve désir violent, étreinte passionnée, verge tendue. 

Encore une frontière. Et une bouteille - 1/2 l de vodka bien blanche, 40% d'alcool. Ou la suivante. Ou l'autre suivante ! 
J'empochais la 1ère tout fou tout fier ; mais désormais je perds mes dents. En me mouchant vigoureusement, je parviens bientôt à extraire de petits morceaux d'encéphale. Petit amas gris, un peu sanguinolent. 
Comme d'une noix fraîche épluchant les méninges, j'en fais apparaître les circonvolutions, le marbré rouge des vaisseaux. Quelques tâches blanchâtres en surface renseignent sur l'évolution de quelque syndrome neurodégénératif. Préférant ignorer, je gobe, hop!, comme une crotte de nez. Déglutis. 


Même phénomène. Un jour lointain, un jour d'hiver africain où la reine des lutins avait posé son congé pour négligence, ou maladresse?, je détaillais mon corps dans un miroir. 
Contemplant yeux, cheveux, gencives, je constatais ça et là l'injure du temps perdu à vivre en apesanteur. Sous la peau et la chair que l'envie me dictait soudain de déchirer des ongles, je savais le crâne nu et vide, les organes, couleurs vives et variées, le mésenchyme partout translucide, comme un mauvais travail de boucherie, et partout la mort agitée de battements réguliers, dans sa belle expression. 
Mais un crâne usé aux dents jaunies ne se vend pas bien cher dans les égouts de Belleville. Si seulement je pouvais laisser un joli squelette... 

Puis finalement, je suis revenu
idées mots souvenirs restent flous
il n'y a que fesses et seins qui vaillent, dont le souvenir défie la gravité,
l'obsession de la saveur du café, le poids de la monnaie dans les poches,
furoncles tangibles de la vie qui te retiennent, même dans les rêves,
te reviennent, te gardent au plus fort de la fièvre.


Le meilleur avocat de cet AF2487 était finalement cet appendice du bout du ventre. Une charmeuse de serpent en chambre obscure lui aura soufflé quelque sortilège. Découvrant chaque matin ma verge dressée vers Paris, je me suis rendu à raison. Sa raison, contre ma perte. Et, arrivé en gare, ce fut terminus, petite mort. 

Je voudrais n'avoir jamais fait un seul voyage. Avoir choisi une femme Nobel, posséder chien et parabole, savoir prononcer je t'aime. 
Au bout du voyage rien ne subsiste du charme sublime de l'ailleurs. Désormais même la plus belle femme n'a que son corps, son pauvre corps, et la plus belle courbe qui tienne en mémoire est celle des montagnes, à l'horizon du boulevard Vitosha...