Peter Pan était encore tiède lorsqu'un soir, dans cette même ville, une autre guerre fut déclarée. Une guerre où il n'était plus question ni d'âge, ni d'homme, ni de femme.
Ou plutôt, le contraire. Il n'est soudainement plus question que de ça. Les femmes, les homme, la vie toute entière en point d'interrogation. Ce soir là, alors que les uns faisaient la fête pour se prouver vivant, quelques autres mal lunés, un peu sous-hommes, vinrent injecter la mort dans le tissu urbain. D'une pétarade, arrêtèrent tout : la musique, les conversations, la vie, le reste...
Tout bien désemparés, les vivants restent là, cherchent des mots. Quand il n'en est sans doute aucun. Rien qui décrive bien la douleur et la mort, le sang, pas un peu pas beaucoup, le sang pur, partout, et la terreur. A quoi bon ? C'est un peu d'irrationnel qui a surgi là. La pièce tournoyante s'est fichée dans nos corps et tourne désormais, vrillant nos nerfs, arrachant les chairs.
Voilà Paris dans l'année nouvelle, complètement meurtrie et parfaitement bien portante. La terreur n'a pas de mots, et les mots sont difficilement impressionables. De fait, ils craignent rien, les mots.
Ne subsistent que quelques éclats de verres et des monceaux de fleurs fanées.
Ne subsistent que quelques éclats de verres et des monceaux de fleurs fanées.
Dans cette ville des hommes en ont exterminé d'autres, et la vie continue. La statue-république, un peu ébranlée, tend plus haut le bras, plus vif l’œil, reste vaillante ! Son cortège de mémoires, bougies, gerbes, mots, souvenirs, semble intarissable. Tout juste subsiste-t-il comme une odeur de sang mêlé de larmes...
La question n'était plus alors de savoir si l'on est vivant ou mort, elle est juste : de continuer. Tu vas ? Je vais. Allons tous, ceux qui ne peuvent plus marcher, plus respirer, plus vivre, on vivra pour eux. Nous garderons précieusement leurs noms. Vivrons double, ferons l'effort.
Après le choc, ce retour à paris était tout malaisé.
Plus solide la solitude, impossible la séduction, absents tous et toutes, que faire ? Je patientais en léchant la crème au fond de ma tasse. Patientais vide d'espoir, et aucune jambe, aucun nouveau contact, rien n'affleurait à la surface du flot urbain que ... le flot urbain lui même, cet amalgame de choses, de rien, de vide, enfin...
Bien qu'absent des désastres du 13 novembre, je surprenais mes mains explorant le corps à la recherche d'une blessure, quelque improbable stigmate. Il régnait une immense débandade. Je n'aurais plus su dire alors quel organe servait encore au plaisir dans ce foutoir de corps.
L'année débutait toujours.
J'ai cherché le pouls de la cité. Bien faible, mais régulier, si bien que ce ne fut qu'une question de jours pour que la statue se relève, reparte d'un rock endiablé, shootant dans les kalachs mal rangées à ses pieds. La fête reprit, tout le monde en était, qui boitant encore, qui léchant ses plaies, tous de plus belle.
Comme janvier commençait à passer, quelques repères de nouveau bien établis, elle me fit : va, file, fuis un peu et reviens vite. Nous repartions sur de bonnes bases ! Ainsi je filais. Brièvement. Juste l'affaire de quelques parallèles.
Au retour elle était là, forcément.
Plus brillante. Plus tangible que jamais.
Plus brillante. Plus tangible que jamais.
La carlingue a encore remué un peu, tourné deux trois fois et nous a recraché là : c'était le fin fond du tarmac d'Orly, un samedi soir de fête. Filez avant que je ne change d'avis !
Comme il s'agissait d'un avion en mousse, nous fûmes invités à un tour gratuit sur le tarmac. Vu l'heure avancée, inutile de débattre, nulle affaire cruciale ne se jugerait plus ce soir. Il n'y a plus qu'à s'occuper un peu jusqu'à la fin de la nuit...
A cette heure les premières bouteilles, les meilleures quilles sont tombées. Désormais ils dansent, c'est sûr, pendant que le bus ADP se traîne au franchissement des taxiways. La soirée bat son plein, chacun aura établi ses marques, posé jalon, campé là dans son ivresse. Arriver maintenant ne sera plus l'occasion que d'un survol léger - plus rien à tenter, manger, boire, prendre, que le bruit et les ondes, quelques restes épuisés qu'entourent des collines de mégots tièdes.
Aussi, sans que j'aie rien à y prendre, je m'attardais encore un peu vers le tapis vomisseur de bagages. Histoire de mieux savourer le retard. Le temps, surtout, d'un dernier barouf auprès d'Izelle, petite souris dénotant dans la carlingue, qui voletait là comme une dernière fragrance de cette balade. Je l'abordais, initiais le protocole d'usage, tirant quelques poncifs, variations en do des tentatives d'usage, reçus un-deux sourires et laissais un numéro. Quand elle m'eut bien définitivement échappé commença enfin la dernière ligne droite vers la ville éternelle...
Le téléphone a commencé à vibrer gaiement, exprimant tout l'enthousiasme d'un passé récent, oblitéré. S'y entendaient quelques échos de la fête, dernier portique de la nuit, où chercher la preuve du vivant, échouer avec un verre, secouer l'air frisquet ?
Pour prémisse la soirée commença aux échos d'une bande de joyeux drilles, chez Adel. Cent mètre plus loin la rue Alibert se reposait encore. Dans quelques retour, le Carillon sera rouvert. Alors toute tristesse bue, on posera le coude vrillé, submergés par cette simple victoire d'être toujours là, forcément.
C'est à ce retour, comme les circuits reconnectent, qu'éclate l'évidence, que portent finalement les coups idiots, échouant derechef à engendrer la peur. C'était au bout de la rue. Ils étaient fervents, cons et armés. Ils ont tué et perdu. On est là, Adel sert encore quelques gobelets fatigués, bientôt la musique s'arrête...
Ce n'était pas vraiment un retour.
Juste un passage, le temps d'un frichti, une étreinte, nouvelle valise.
Le passage d'un instant fugace et précieux de certitude.
Juste un passage, le temps d'un frichti, une étreinte, nouvelle valise.
Le passage d'un instant fugace et précieux de certitude.
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Voici la finalité prioritaire que l'on découvre dans nos fêtes, et voilà pourquoi on y est si heureux, si attentif : un beau duel et un bel ennemi, dont la puissance infinie nous révèle notre puissance infinie, puisque nous y résistons, puisque nous ne sommes pas encore morts ! Car nous devrions être morts, écrasés, depuis longtemps : notre constatation de non-décès, qui est au cœur de notre fête, nous ouvre des horizons infinis sur notre propre valeur : voilà qui est enivrant, voilà pourquoi on est graves à nos fêtes, même au sein du rire.
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