On est tombés sur la ville comme
quatre fous.
Comme un grand fou plié en quatre.
Chacun a pris un quartier, qu'était
enfin un quart de la chose, puis tous avec son nouveau truc on a
défini la gouvernance. Il faudra jouer, que du jeu ! Souffrir jamais
trop, sourire beaucoup. Et prendre d'insouciants coups de soleil les
lendemains de cuite... La ville est à nous.
Un frère. Il y avait d'abord un frère.
Puis deux puis trois puis quatre.
Mais d'abord il y a un frère, c'est le
début, il faut bien commencer par quelque chose.
Il surgit du néant. D'abord il n'est
pas là puis l'instant d'après, le voilà. Sorti d'une carlingue
flamboyante sans passer par la case de l'enfance, les autres qui le
découvrent l'ont toujours connu plus grand. L'histoire est ainsi
faite d'une bonne couche de relativité.
Nous qui lisons toutes les
pages de toutes les histoires depuis l'origine savons qu'avant il n'y
avait rien, que le papier 50gr/m2, blanc à filigrane. Mais eux, les plus petits,
désormais aussi grand, voire plus, ne savent que ça : une
apparition, comme surgite du néant.
Ensuite sont venus les autres.
Fruits de la reproduction sexuée dont
on connaît le délicieux principe sans trop jamais la conséquence,
et dont voici l'aboutissement. D'abord unique, puis doublé, enfin :
trois frère. Avec l'apparu ça fait quatre, si mes comptes sont
exacts. Compte rond, jolie troupe.
Tout autour il y a des gens. Des gens
qui partent, des gens qui restent.
Il y a aussi de l'eau et des requins.
Le requin. Enfin un prédateur pour
l'homme.
Le requin arrive pleine balle, les
dents toujours impeccablement plantées, bien nettes, c'est un truc,
on peut jamais lui reprocher. Il saute sur la grève et commence un
petit fox trot du meilleur effet, car le requin est bon danseur, et
encore, il progresse, chaque fois un peu mieux l'animal, bientôt
dans les salons ce ne seront plus qu'animaux à chaussures vernies, tout juste quelques hommes timides sur le banc de touche.
Il danse et de temps à autre attrape
une boulette de viande, une humaine, de préférence, et la fait
sauter sur son nez. Qu'ont donc tous les animaux à se chercher un
ballon, un championnat, une coupe, serait-ce donc qu'à tous il leur
faut cette baballe ? C'est complètement con, même cet élégant
poisson veut sa poire pour la soif, alors il va il vient mais ce jour
là n'attrape rien. Ni les gens, ni les frères. Un peu déçus, bien
contents tout à la fois de ne pas perdre 5 membres inutiles et la
vie qui se range dedans, on va s'ébrouer au soleil et vite reprendre
le récit.
Tout autour les gens sont là,
cependant dans mille ans il n'y aura plus rien, ni toi, ni eux, de
tout ça.
On peut gloser, causer, passer une vie
à faire et défaire l'écheveau des possibles. Ou agir ? Vite agir.
Baiser ! Toujours baiser, beaucoup et bien baiser. Vivre ce qu'on
peut et laisser venir.
Ou rien.
Cependant dans mille ans, ni le stylo
pour se pendre. C'est demain, mille an, ça vient rapidos on ne se
méfie jamais assez des millénaires, tu commences à lire un blog
passionnant, ou réparer une machine diablement complexe, brosser
trop soigneusement chaque dent sur chacune des cinq faces, voilà
que tu relèves les yeux : poussière et ride, mille années ont
passé, comme ça, hop.
Les gens, cependant. Gens qui part est
parti dans un ailleurs – le même qu'ici, mais différent, tampon
de la poste faisant foi. Gens qui reste est parti aussi, sans
mouvement le moindre. Bien immobile, tous ses yeux biens fermés au
monde, mais surtout : immobile. Echappé.
Gens qui part revient un jour, toujours
revient mais jamais ne retrouve son double de pensées, laissé,
échappé...
Ainsi les gens, ainsi les frères.
Comme nous tous, chaque frère est dual. L'une part, part, l'autre
part, reste. Tous et chacun à la fois racine et volute, désunis
jusqu'au moindre détail.
Toujours mécontent d'être l'un et
pas l'autre, l'autre sans l'un, jamais les deux, je gémis, me
lamente, tous nous lamentons. Ce torrent de protestations réunies
forme comme le fond diffus de la vie. Grognement expiatoire des
éternels insatisfaits. Et le bonheur ? Flotte comme l'écume partout
où ça remue un peu. Vas-y pour le saisir, c'est coton. Bel et beau,
bien visible, mais drôlement dur à choper.
Il y a des gens, et quatre frères.
Vous aussi ? Moi non plus. Je ne sais plus trop où j'en suis.
Quatre gens, ou des frères ? On avait
la ville, chacun dual, ce qui fait huit. Je retiens deux.
Tout, beaucoup et trop, mais en somme :
il n'y a plus rien. Plus rien, pas même l'idée, qu'était partie
avant que le stylo ne touche terre.
L'idée née d'un échange. Le voyage
né d'une idée. Il y a toujours une idée au début du voyage,
qu'est jamais la même au retour, tu sais ? Comme le frère, comme
les gens.
Le voyage sans idée c'est bien, à
condition qu'il soit rugueux, le truc, qu'on trouve à y redire,
qu'il s'y passe et plus et mieux encore, des trucs, des anodineries
bien sérieuses, avec sillons bien profonds.
De toute manière on s'en fout, car
l'idée du retour n'est jamais celle du départ.
C'est la tête vide du lendemain de
nuit blanche.
C'est je sais pas, je rentre, sans
réfléchir, grégaire et demi.
C'est vite vite vite un transport, un
pain au chocolat, il faut.
Dur de faire la part de tout ça,
est-ce que l'idée survit au voyage ?
Est ce que l'idée voyage ?
Est ce que l'idée tout court ?
Toute courte l'idée du début du
voyage, qui l'initia, créant besoin ou fondant raison, on dira
d'elle, tiens, c'est l'idée besatrice. Le voyage commence alors,
avant le déplacement, dans les méandres d'une pensée mal
embouchée.
Aussi l'idée, ou plutôt son absence
bien avérée, est tout ce qu'il reste. Esprit vide bien rincé du
retour à la capitale.
Penser tient ma valise.
Penser zut mes papiers.
Penser vite un transport. Vite la
ville. Tiens, un pain au chocolat. Aaah un café.
Penser il faut tourner la clef comme ça
dans la porte.
Penser à rien. Ne plus penser à rien,
voilà.
L'idée rincée, l'idée est resté en
voyage, peut-être.
A l'origine de cette éruction verbale,
il faut une raison. Faut-il une raison ?
Je marmonne un truc, j'ai piscine, je
fais, ya fête aux Sabines, et file m'enfiler une nuit d'avion sans
sourciller. Faut ça. On devrait tous tomber comme ça, vlan,
disparaitre reparaitre dans un autre, dans un ailleurs, jamais trop
savoir ni quoi ni où
juste disparaitre
reparaitre
tous
un jour.
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