Comme sorti d'un gigantesque bain amniotique, je reprends pied sur terre au milieu d'une flaque d'eau salée. Terre. Un sol sans houle. Ébrouant le poil trempé, inspire à nouveau les parfums du monde.
Le confinement est achevé.
Sorti du manège, le forain me tend quelques effets personnels. Passeport presque introuvable, tout pâle d'être resté immobile si longtemps. Argent rendu solide par le manque d'usage, qu'il faudra écouler bientôt, d'une manière ou d'une autre. Les chiffres du code bancaire me reviennent par bribes, ça resservira peut-être. J'enfile quelques vêtements de ville et rejoins les chanceux à la porte de débarquement. Piotr, Alex et Robert ont les yeux qui pétillent et ce sourire figé des condamnés à vivre.
Il nous faudra bientôt réapprendre à exister en liberté. Retrouver les mots, oublier les injures. Casser la gangue de sel, retoucher à mains nues la société pour ce qu'elle est. On en était où ?
Mais d'ailleurs, comment user de cette liberté rendue ? Comment compter le temps qui reste, ne pas dépenser tout d'un coup, au tapis du premier soir ? Reprendre l'usage, retrouver l'habitude, enfin, le goût, tout ! Comment sera la première gorgée, comment le premier coït ? C'est tellement mystérieux vu de loin, tout ce foutoir d'hommes, de femmes ; on ne pense qu'à ça, cependant on oublie tout. Mystérieux foutoir.
Corps et idées comme sortis d'un bain de jouvence, on ne compte plus les rides d'éternité et de manque que cachent nos sourires... Il faut la cérémonie, pas seulement d'immersion alcoolique. Un simple baptême déjà, va et jouis, à base de pain, de beurre, de vin. Attention, que du bon, hein !
Alors boira mangera jouira, puis reposera. Éructer, enfin, bientôt. Puis reverser dans n'importe quoi, n'importe comment. Arrh, amen !
Alors boira mangera jouira, puis reposera. Éructer, enfin, bientôt. Puis reverser dans n'importe quoi, n'importe comment. Arrh, amen !
Donc je rentre. Je rentre donc.
Aime à nouveau. Copule sec. Reprends ce qu'il faut d'active, comme il faut. Puis il y a cette rencontre. Cette femme. On va se cacher derrière un arbre mais notre joie déborde, éclaire la nuit. Bientôt l'arbre est couché, il n'y a plus que les étoiles. Six semaines saumâtres exsudent par tous mes pores. Où avions-nous la tête ? Nous n'avions pas la tête. Pas le corps. Ni l'idée. Évaporée, ou sublimée ?
Là-bas, c'était la mer. La conscience seule y subsistait dans un éther de rien. La conscience mole et fripée, toute de méandres lascifs. Entrelacs de fils, idées qu'on ne déroule pas, qu'on ne pêche plus, car le règlement ne veut pas, car tous les métaux lourds ont précipité là, au cœur de l'esprit.
Désormais il y a l'homme, il y a la ville.
Plus rien ne les sépare que le temps écoulé. Ce qu'il faut pour renouer entre eux est indicible, impondérable...
A ce départ le temps était parti, plus loin encore que la carne, enfuit dans une belle routine trop fastoche, enterré derrière l'horizon. Débarrassé du temps je ne tartinais mes jours plus que de routine, rongeant chaque tranche diurne avec patience.
Dans cette patience, et au-delà, est une part de disparition aboutie.
De fait, au retour on ne se retrouve jamais complètement. Il reste l'homme ; il y a la ville. Bonheur plaisir et agapes qu'il faut. Cependant quelque chose, dans l'absence : a muté.
Il y a l'homme, la ville toujours. Dans son pas, dans ses errances, ce quelque chose, comme un écho, n'est plus qu'une trace. Légère apesanteur du talon, moindre prégnance au réel, quel est ce vide, quel manque, quelle part essentielle, inutile, fait défaut ?
Reste que l'homme, la ville, et puis la femme, aussi belle que bien là, comme l'arbre soudain couchés, viennent opportunément combler cette vacuité de l'urbain, et de l'idée.
La femme, c'est quelque chose. Tout l'espace se trouve soudain empli de sa flagrance. Aucun voisin, pas un passant qui ne puisse l'ignorer. Elle imprime l'esprit et irrigue tout le corps comme un alcool subtil. S'immisce là et insidieusement, partout.
Une lueur se fait alors. Tout est sensiblement semblable, mais différent.
L'homme, comme la ville, reprennent la danse qu'il faut, saisis d'une passion nouvelle.
Mieux et plus encore.
Content et satisfait.
Barbu et différent.
Car revenir, c'est aimer un peu. Revenir, et revivre.
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Là-bas tout au loin, c’était la mer. Mais j’avais plus rien à imaginer moi sur elle la mer à présent. J’avais autre chose à faire. J’avais beau essayer de me perdre pour ne plus me retrouver devant ma vie, je la retrouvais partout simplement. Je revenais sur moi-même. Mon trimbalage à moi, il était bien fini. A d’autres !… Le monde était refermé ! Au bout qu’on était arrivés nous autres !…
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