vendredi 17 avril 2015

AF929 - 17 avril : tressaut, jubilation

Comme au premier essai : même contrainte, même libération.
Venir et revenir étaient sur le bateau. Venir tombe à l'eau.
Le bateau est dans l'île comme l'île est dans l'eau.
Imbrication, nénuphar océanique. Promesse de retour...


La mer oscille. Elle fait ça la mer.
S'essaie vaguement aux modèles de Stokes ou Gerstner. Le nénuphar, lui, n'en mène pas large. Accompagne, bouge en tous sens, grandit un peu. Tous et chacun portons, comme la fleur, cette notre insularité. Œil unique au centre du front, mouvant, incontrôlé.

Avec ou sans mal de terre, les premiers pas d'un homme libre transcendent l'espace. Car ce ne sont ni l'homme, ni la liberté, mais les pas qui font ce monde submergé de géographie. Le big bang, c'est formidable, mais ça n'existe pas au pays de la voiture reine. Le grand boum, ne tient  qu'à un pas.
Il n'y a qu'à marcher, simplement marcher. Alors l'univers s'ouvre comme une boîte à musique. Expansion. Mélodie.
Il n'y a qu'à courir, voilà qu'il explose. Alors voler filer au plus loin, au plus vite, ne sont plus notions de mouvement, mais fondements universels. Au sortir de l'île, miracle, je remarche.
Une rue, d'abord. Puis une autre. Bang ! Plusieurs rues. Des blocs.
Encore d'autres. L'imagination pour seule limite.
Fin d'une longue séquence hallucinée. Terminée la limite ! Fini le carcan océanique.

En sortant de l'eau j'ai foncé dans l'hélico, le taxi, l'avion. Jubilation de la distance parcourue. Cent onze mètres cinquante et des poussières, plein beaucoup.
Au terme de la fuite trône le train de banlieue. Là, comme n'importe quel tricard je vais nous sommes, allons. Voilà le trajet retour : avéré. Comme je r'viens, le train tressaute, il fait ça bien, le train. Revoilà cette condition du voyage.
Condition du rail parallèle, aussi. Réglé à vie, que c'est un drame. Je l'imagine rêvant tangente pour l'esquive, se vengeant en laissant dépasser les boulons. Mais malgré tout filer droit parallèle, vite, loin.
One way ticket. One way ticket to the moon. Le train tressaute, ma tête bouge, toutes les têtes de concert, de tous les tricards, oscillent également. Nous voilà à l'unisson, nous revoilà, unis. Unisson. Diable, comme j'aime cette absurde cérémonie.

Une autre se prépare. A cette occasion, tout mettre les pieds les jambes, et l'univers, faut ce qu'il faut. Des sacrifices également, de la chair rose, une belle assiette de charcuterie. Ou deux. Un vicaire aussi, j'y pense. Il y a justement cette petite complice tout à fait formidable, alors on ira, animés des intentions les plus malignes.

En vue des bacchanales à venir je ramasse quelques restes, mes petits morceaux d'os. Ce coup-ci, c'est le dernier de la colonne, qui restait fier et indemne. Enfin eu, brisé menu. Il sera mon offrande au réel, la petite contribution à l’holocauste qu'il faut.

Combler un marin s'avère simple.
Recette infaillible... Accueillir, d'abord, sans moucher la bougie. Nourrir, un peu, mais pas trop.
Puis poser dans un bar, ardoise ouverte. Boire et faire boire, pour de vrai. Récupérer le récipient, ce qu'il reste de l'être, cuticule bien dissoute après le bain de solvant. Coucher ce reste, il faut, longtemps. Voilà quelque chose, on croirait presque un homme.
Décuvé, bien malade ? Coiffer, raser : et voilà. Un beau marin bien refait.
Encore un filet de citron, une pincée de sel pour marier le poisson. Le regard reste perdu, toujours, c'est le vague des vagues qui précipite par là. Qu'il boive, et reboive, car tout le sel de la mer colle et subsiste. Des ondes qui le traversent encore, bientôt, plus rien. Ni les vagues, ni le reste. Bien démis, bientôt remis.

Pour la cérémonie, avec la complice, on alla, on vint, bus comme jamais. Un truc violent, intégral, dont on sortit sans un poil sec, ramassés autour du foie comme après un bon direct du droit. On s'réveilla entassé l'un l'autre, exactement comme à l'instant du jouir, emmanchés dans une de ces figures bizarres, encore demi habillés. mais où, mais toi, mais comment ? Bonjour.  Puis comme ça bouge encore toujours et plus, les têtes tressautent de plus belle. Capitaine, second et vigie filent à la passerelle. Ça déconne pas ; bien des naufrages ont eu lieu pour moins que ça.
Qui sur une île, sans faire gaffe, pan. Quinze années insulaires.
Qui à pic, plouf, grand bleu, nuit éternelle.

 Moi j'avais loué une voiture, c'était vaguement rassurant. Je n'avais peur qu'un peu d'elle, ou qu'un peu de moi, suivant le sens du virage. Les routes vont en tout sens, oscillant comme les vagues, mais toujours te ramènent à l'origine. Car il n'y a qu'un bout à l'île. Qu'une arrivée qu'un départ. Qu'un avant, qu'un arrière. Venir, revenir. T'es sur le bateau, ou t'es mouillé : logique binaire du survivant, vite acquise.
Arrivée ou départ, et billevesées que tout le reste !  Tu peux bien gloser croiser untel voir tel autre manger boire, oui, mais il n'y a qu'aux termes que se mesure la jubilation. Tu viens, tu reviens : bel et bien insulaire. Le contrôleur parfois vient tenir un peu ta main, "monsieur?, monsieur!". Petite réminiscence d'humanité, entre deux verbalisations. Il prend la mesure du vague mais bientôt se ressaisit, tend le procès verbal d'arrivée et file, joli pervers. 

Trépidations des heures de l'aube. 
Le train saute. Les têtes oscillent. Sourire, retour. 
Encore un train. Encore un tressaut. 
C'est celui du réveil, le dernier des songes. 
Ultime onde, vague finale, debout !

Il y aura des messages, je les sais déjà, il y aura des lettres, des factures, d'autres PV, toutes joyeusetés perdues qu'il faut célébrer comme autant de naissances, de retours à la vie... Bon dieu, mes tricards, mes amis, quel plaisir de rentrer.
On va manger. On va boire.
On va mal aimer, mais bien quand même. Puis tout reprendre, encore, encore. Rater, re-rater. Trouver les mêmes gestes, filer la même extase, aï, que rico ! Vous me croyez, ou pas ? Demandez à vos ventres. Il n'y a pas d'autre réalité.

Ensuite ? Ensuite rien. La vie continuera. Faudra sortir le chien, n'oublie pas la poubelle. C'est en omettant d'essentiels négligeables de cet ordre que toutes les équations se trouvent faussées. Alors l'île coule et le bateau s'envole. Faut pas déconner.
Sors le chien ! Jette la poubelle ! Ou jette le chien, habille toi du sac malodorant, c'est égal. Il convient simplement d'agir les possibles, tous, toujours. Le champs des possible fait comme un arc en ciel, tout ça, il dit,  parce que t'es resté trop longtemps au blanc néon, qui toujours fatigue, jamais ne s'éteint.

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Le néant, vraiment, finit par avoir une consistance, tellement nous nous en informons, tellement nous le parlons avec nos mots et nos idées, alors que l'idée même en est transfigurée par nos sens et notre dérisoire entendement.

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