mardi 18 décembre 2012

AF3519 - 18 décembre : envol à l'arrachée

Prenons la quantité de mouvement, l'eau dans les baignoires, ou le fric qui reste encore. Pour chacun, pour tous, incrément et décrément sont contingents, indissociables : c'est le principe de conservation. 

Comme une boîte de conserve géante, ce monde a été appertisé un jour. Vous vous ferez les uns aux autres!, a ri le grand orchestrateur en mettant une touche finale à la soudure du couvercle. Alors maintenant qu'on y est, il faut s'y faire. Car, la taille de l'ouvre boîte !


Il y a l’histoire de ce gars qui, voyant partir un peu de sa vie chaque jour, passe son temps à chercher la balance, la compensation. Alors il maugrée tout le temps : en vertu de la conservation mon cul, le positif doit bien se cacher quelque part. Il cherche, cherche et maugrée encore. Puis à la fin, il meurt.
Et encore tant d’autres qu'on croise, tenants la jauge à l’envers, ou hypnotisés par le spectacle du sable qui s’écoule, qui omettent d'imaginer.
Imaginer que du début, l’horloge fonctionne en sens inverse. Imaginer qu'il faille chercher derrière, au passé, entre les souvenirs qu’on a et ceux qu’on s’invente. Les tiens, les miens, les beaux et tous les autres. Tous aussi falsifiés qu’une comptabilité bancaire.
Mais chercher la vérité, se laver les dents, pisser, pleurer : toutes choses qu’on ne fait plus que par habitude. Occasionnellement...

Un jour, tout bien repu de lumière et d’espace, ces idées naissantes en tête, je laisse sortir celui-là et prends place à mon tour : voici les chiottes du Boeing 777-300 ER.


C'est un espace à part dans l'espace à part. Un non lieu dans la conserve, si cela se pourrait. Ce local est un théâtre, où trop souvent on va se produire solo, oubliant les usages variés que confinement et duo, trio, quartet, quintet : autorisent. Ce pourrait être un théatre, un opéra ! Ou un lupanar ?
On viendrait y échanger nos salives, nos humeurs, nos excrétions. Restes de plateau repas contre gâterie sensuelle. Défourraillage de sexes impavides. Les plus riches prévoiraient un ballotin de chocolats. On exigerait des femmes qu'elles payent en mignonnettes d'alcools variés...

A peine une heure que, planant dans les effluves, je chasse ces pensées à réaction, et voilà qu'on tambourine à la paroi. Peut-être l'avion a-t-il disparu ? Seul le cabinet continue de flotter, gangrené d'une grappe de survivants que déchire urgence d'une miction imminente ou plénitude rectale...
Une annonce du pilote met cette hypothèse à mal. L’aéroplane continue de voguer bon train vers l’hémisphère froid. Moi, j'initie un comptage. Combien d’avions, combien de fois pousser cette porte, pénétrer cette boîte de transportation, verrouiller le loquet -subtile variation de la lumière-, et contempler ce visage ?



Dans le trajet aller retour de la lumière au miroir, il y a un jeu subtil de l’espace et du temps. Le temps s'écoule, l'image tranquillement se forme, à la vitesse du photon en rut. Image rapide, mais sans plus, qui se corrompt de perception et mémoire, comme le vulgarise mielleusement l'URL www.psychologies.com/Beaute/Image-de-soi/Relation-au-corps/... Foutaises ! Les photons voyagent comme nous, font leur balade et s'empressent au retour. Ils relativisent un peu, certes, mais reviennent comme tous. Appareil en bandoulière et sac rempli de souvenirs. Comme des cons.
Le voyageur tout bien bourré d'espace, de temps, d'alcool, et de ce "je" subtil des particules, pense : ouais. On pourrait faire plus simple. Éviter les périphrases, coller un profil en carton, briser les miroirs, prohiber les reflets, imposer transmission-réfraction pour tous, et bast !

Mais chiotte, miroir, photons - dans cet instant, yeux dans les yeux, passé et présent se réunissent. Les effets du retour se révèlent. Je détaille cette drôle de gueule. 



Un nez.
Une bouche.
Scalp et paire de tout le reste.
Sur le masque impavide, dix traits doux. 
L'avant veille les ongles de Cristina labouraient ça et là cette mince couche de chair et peau qui fait tant pour nous définir. Je suis vous êtes, nous sommes une personne. Un visage. Le miroir s’en fiche. Savourant la douleur, je pensais à sa dernière action de prophylaxie. Avait-elle bien frotté ses mains au savon ? Entre les doigts, et sous les ongles ? Fait des bulles, longuement, suivant les préconisations en vigueur ?
Tout ça n'était pas très douloureux, mais long. Et saignant. 
Puis sa question revenait en boucle, quoi ? quoi ? quoi, hein !?
Coopérant, un peu souffrant, j'étais prêt à oui, prêt à tout. Mais avouer la vie heureuse, l'impossible,  montrer cette tumeur de plaisir vide qui grossit à chaque excursion ? Pas une bonne idée.
Qu'est-ce que tu cherches !? qu'est-ce que tu veux !? qu'est-ce que tu fous ?
L’idéal de vie : la vacance. Je vaque.
Passe le temps, savoure le paysage.
Menacé d'écorchage par une écorché vive, retenir un sourire. Chercher quelque sujet de conversation qui nous maintienne. Tenter une nouvelle caresse, un truc qui engloberait tout plein de zones érogènes sans faire réagir les doigts.



Cristina, comme le contrôleur, questionne la vacance du passager clandestin. Celui-là, qui lit le journal par-dessus ton épaule, note ta conversation mais jamais ne s'y engage. Atterrit bientôt, et déjà cherche le pied d'appel pour un départ à venir...

A la fin les hommes trouvent la solution. 
Ils trouvent toujours la solution.
Joignant le meilleur d'eux-même, de leur coeur extrayant la pourriture ultime, ils mettent en culture une toxine butolique... Sur le nutriment de nos rêves et de nos idéaux, la méta-toxine est bientôt grosse comme ça, puis comme la boîte, et plus encore.
Libres !!! D'un boum ultime au fort relent d'égout nous dépasserons les cieux, atteindrons les dieux. Et cesserons d'être, tout à la fois. La mince affaire.

___
Qu’est-ce que l’instant présent ? C’est le moment qui contient un peu de passé, et un peu d’avenir. Il y a trois temps, et tous les trois sont le présent : le présent juste passé, celui bientôt à venir, et le présent présent qui déjà s’est échappé. Cet instant où le futur devient du passé, c’est l’instant que nous appelons «présent». 

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