lundi 3 mars 2014

AF1735 - 3 mars : il faut tout oublier

Epilogue
A la fin ?
A la fin nous empilerons toute la vaisselle. Ce paquet de verroterie anglaise de vilaine facture, et tout le reste -souvenirs, nuit brûlante ou glaciale, pluie fine, salon immense du gentlemen's club, innombrables bières, et au sommet dans son écrin, l'échappée de l'échappée, le calepin des billets d'avion. Ce sera un truc vachement grand, avec des bols et tout.
Tu monteras au pinacle de cette tour éphémère, pour la vue, pour le sport. Agrippant comme se peut, là un chopstick, ici l'anse d'une tea cup, ira vaillante chercher tout au sommet cette jolie petite fleur qu'il faut manger, qui te fera toute chose, tout chose, enfin complètement quelque chose.
Si dans la chute qui suit, beaucoup plus longue encore que l'escalade, ton regard n'achève pas de virer, vraiment différent, infiniment autre, c'est la nique. Une abeille nous aura précédé, voleuse de fleur!, alors attention à l'atterrissage...
Dos rond, bras écartés, grand bruit, nuage de poussière. Fleur ou pas fleur, le conte comme la magie ne vaut que par la foi qu'on lui concède. Mais bienvenue au sol, quand même.
 

The International Society for Krishna Consciousness
En ces temps, chercher du boulot partout se fait vain et crevant. Aussi il convient, pour commencer, d'aller partout se chercher, et avant tout : se perdre. Puis, formule éternelle, tout bien perdu : se chercher, partout. Allant partout sans plus savoir trop où, quoi, encore se perdre, se chercher?, avec toujours l'idée que, ah, oui, tiens, ...le boulot ! C'était ça. Chercher. Peut-être ? Peut-être.

Aujourd'hui les assistants pour cette quête vont par cinq, dix peut-être, rarement mieux à cette époque. Tambourin, harmonium et foi débordante. Quand un pays scande Hare Krishna comme ça, dès l'atterrissage, ce ne peut être qu'un bon putain de présage ! Comme le claquement des roues aux jonctions des rails, ces médiums ont ce rythme aussi beau qu'irréductible, et promettent tout autant un transport vers quelque impossible nirvana. Ces gars là chanteront encore quand le monde n'y sera plus (et le boulot, toujours pas!). Alors on se lie pour quelques couplets, et cent pas de concert.

Puis il y a rendez-vous, là. Retrouvailles avec un barbu plus que barbu, un poilu en déshérence, ce fichu Adam qui les voudrait toutes, comme en rêve, mieux qu'en rêve. Et que la médiocrité des transports du réel cependant cantonne à un quotidien aux antipodes, infiniment tangible. Heureuse compromission. Que souhaiter à ses amis ? Jolie routine, sommeil réparateur, doucereux quotidien à vie, jusqu'à la mort, au moins, et au-delà...



Toujours aussi nuancé dans cette surprenante résignation, qu'orthodoxe dans ses idées de laisser penser -laisser pisser, laisser pousser, tout poil, tout enchaînement-, toute idée, tout attentat de n'importe quel explosif, sont les bienvenus sur la table envahie de flacons. On y boit, on y boira...
La vodka des retrouvailles, et la bière, puis le vin, et ainsi toute carafe à toute heure, sauf avant les cours, même avant les cours finalement, le jour, la nuit, pourquoi pas dans un autre état qui ne serait ni diurne ni nocturne et qu'on inventerait, demain matin... Même en rêve Adam doit honorer notre culte éthylique. Moi j'irai titubant sur ses pas, portant haut la caisse-écrin des saintes boutanches, décapsuleur et tire-bouchon consacrés, poursuivant le mantra, larmes aux yeux à la perspectives de futurs miracles.
hare kṛṣṇa hare kṛṣṇa
kṛṣṇa kṛṣṇa hare hare
hare rāma hare rāma
rāma rāma hare hare

Au réveil
Cuisine, évier, me reviennent à la gueule, un peu comme un meilleur cauchemar de Killofer. Pareil de sale, vivant, pourri ! Des bouteilles des bouteilles des bouteilles, et de tristes mégots. L'odeur. Et le manque de courage.
L'épreuve fait peur. Par quelle voie cette escalade ?



Tout d'abord, les cadavres : dans de grands sacs entasser les quilles, purgées de restes tristement oubliés, éventés ou tournés. Puis les cartons, plastiques, many emballages de pizza jolies qu'on disait en riant qu'elles iraient mieux décorer le mur que cuire au four. 3, 4, 5 sacs, encore des bouteilles !
Ensuite, ramasser les petits morceaux de ce pauvre verre, victime sacrificielle des pillards en extase.

Puis la vaisselle.
Encore et encore la vaisselle. Splendide stratification de déchets solides et visqueux à différents états de décomposition. Percée la croûte, d'étranges bêtes s'enfuient sans demander leur reste. J'en fige une d'un jet de savon liquide, puis la transperce d'une pointe de nylon de la brosse pour quelque étude entomologique à venir.
Fouillant des doigts les couches suivantes, un peu vivantes, vraiment visqueuses, à la manière d'un chirurgien dans la terreur du champs de bataille, trouve des boyaux encore, cadavres toujours, puis enfin la bonde qui soulage cet esprit nouveau né de son éthylocéphalie chronique. Flchuuuurpsh, fait la bête soulagée, expirant joyeusement d'un soupir séculaire ces deux semaines d'une nouvelle intelligence...

Tout, encore, toujours, jusqu'au bout la vaisselle. Quand l'inox pourri du fond de la cuve revoit enfin la lumière du jour c'est une consécration certaine. Il faut persévérer.

Puis vient le temps des surface hautes : plan de travail, évier, lavabo, guéridons, bibliothèques, murs, tous badigeonnés de poussière, graisse et gouttelettes d'alcools variés que toujours je me demande quelle personne, combien de talent, pour couvrir ainsi tant de surfaces en quelques pas de danse et lancers de verres...

C'est fait ? Il faut refaire.
Partout reprendre ces défauts que le soleil déclinant exalte. On taira les plinthes cachées dans l'ombre des coins, l'arrière des meubles, le plancher collant de tant servir de cachette aux gobelets imbuvables sous ce fauteuil, dans cet angle, toujours celui-là, toujours cet autre.

La suite est un ballet pour danseur et aspirateur, musique vrombissante, câble électrique enroulé sur la jambe, un pas en avant, jeté en arrière, puis gauche, et ainsi. Serpillière, eau chaude, savon, et rebelote.

http://www.hauserwirth.com/artists/58/estate-philippe-vandenberg/biography/

Le bon lui
Voici l'espace, le même, et complètement différent. Voici l'homme, le même et complètement exténué. La trace de ton dos dans la poussière dans la chute, a disparu. Plus rien que les immaculées surfaces. Alors conclusion, apothéose, bière et repos.
Le ménage c'est la messe, la danse, le sport et toutes les limites de l'exercice humain aux frontière de la spiritualité. Le ménage du retour c'est pareil, en mieux. C'est tout effacer pour mieux se souvenir, le trémolo intense des enceintes et les coups joyeux de l'alcool au lobe pariétal, lors du réveil.

Fin des tribulations.
A ce retour, il faut tout oublier.
Le prochain sera le bon, je sens qu'il sera le bon, il faut qu'il soit bon et que ce soit lui, le bon lui, plus que tout autre. Au prochain retour le papier plus vite que la plume, chanterons l'hymne ultime, il faut que le cerveau repose je ne parle pas des doigts, lequel rouillé, tel autre brisé qu'un flessum fixé afflige, non, le corps n'y sera plus.
Ce sera le retour comme amnésie de la page planche, comme le flash vif d'un coup porté au crâne.
On verra. On repartira, on reviendra, et alors on verra...

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