vendredi 23 décembre 2016

ET704 - 23 décembre : torréfaction au soleil d'Afrique

On marchait dans cette rue : trottoir d'asphalte ni dur ni mou, voiture bruit juste ce qu'il faut, gens gentes en quantité et qualité variables. Elle à gauche moi à droite, devisions doucement, tirant avec soin sur chaque sujet - épauler, viser, bloquer le souffle... pan ! Car il faut tout reprendre, égrener, comme la première fois, comme pour la dernière fois, dans une urgence de fin du monde.  
Puis soudain la garce en est arrivée à évoquer l'éloquence perdue, fouillis sombre qui règne, faible filet de voix qui s'éteint... Pas du tout ! Pas du tout j'ai fait ! C'est mon plus précieux ! Je le soigne, le rénove. 
Bientôt il filera plus fièrement que jamais, sujet verbe complément, phrases au cordeau qu'il faut, avec points et majuscules s'il vous plait. J'y veillerai personnellement.


Cependant le machin titube, prend l'eau de toute part. Vous avez vu ? Et cette gîte ! On donne de la bande, sauve qui peut ! C'est l’œil, j'ai pensé, quelque fibromyalgie mal réglée qui accable, condamne, aura tôt fait de tout ruiner.  
Car faut bien rincer l’œil pour rénover le regard, sans quoi c'est tout périmé du verbe qu'on se trouve. Alors comme la conjonctivite menace, c'est pas un vieux collyre qui changera nib', faut du lourd, du gras, du varié. Du pas commun. Faut foncer dans la mêlée, taper tout azimut, je sais pas moi, faire sauter la banque, filer vent arrière, prenant la mer plein cul... ?

Car enfin, on enterre bien les chiens, on enterre bien les chats, qu'est-ce qui sauverait la bête, celle-là plus qu'une autre ? Toi, moi, plus qu'un autre ? Il s'agit de pas laisser couler la Seine plus longtemps. Filer loin, pour de vrai, laisser les bêtes pour ce qu'elles sont, des bêtes!, enterrées ou pas, soit dit en passant.


Comme une dernière bataille - l'enjeu est formidable ! Sans ce coup de feu c'est tout l'arôme qui échappe, la vie sera plus qu'un fil, on sucera des cailloux. Mouvement, chaleur, c'est tout l'écheveau des possibles qu'il faut secouer, nos vies doivent donner raison à Robert Brown : faut cogner, être cogné, pour continuer de vivre. 

Dans ce rince-œil insensé tous étaient belles et beaux, noirs comme il faut. Même le café. Surtout le café. Ici ni dieu ni référence, rien ne reste d'avant l'avion que les mots qui sont pareils, mais différents, petits dessins dansants ici et là. 
Ici sont quatre vingt peuples, annonce le guide. Auxquels ajouter également ma gueule, qui vaut pas derche, puis encore deux de mieux qu'on décomptera à part.


Le quatre-vingt unième est ce peuple chinois, omniprésent dans le pays, qui pose un village neuf à côté de chaque village ancien, afin de maîtriser l'envahissement des chantiers, la dérive des coûts, et empêcher la genèse d'un peuple neuf de sang-mêlés.
Enfin, et surtout, est l'antique - éternel - omniprésent peuple des hexapodes. Ceux-là chaque jour volent grimpent rampent, se mêlent à la foule, prennent cachette dans notre empire de quatre vingt un et moi, et toi, et chinois, puis sans cesse s'essaient au clonage, au mariage, pompant à qui mieux-mieux puis mélangeant tous ces sangs. Perpétuelle tentative de fonder le peuple ultime, combinaison et fruit de tous les vivants.


Je regardais ce mec dans le bus. Un cafard parcourait son corps, disparaissant dans une manche, réapparaissant au col avec grâce et tout le naturel imaginable. Mais le gars ne bronchait guère!, ni personne alentour. Alors la bête guidant ce vivant mal enterré à petits coups d'antennes, l'a prestement lancé hors du bus. C'est surtout l'absence de son regard qui m'est restée... 

Comme à Paris, je les observe, plus voraces que jamais, envahissant les murs de ce bar. Massés au sol dans l'obscurité. Prenant d'assaut les préservatifs souillés jetés au sol après l'étrange coït. Quel âge ont-ils, si un âge peut leur être attribué ? Et quel âge avait-elle ?
Elle n'avait pas de corps, sinon ce sexe si promptement offert. Mon sex droug en disait plus tard : female, good ? How was ? Vagina tight or loose ? Now change female !
Puis dans la phrase suivante me rappelait avec insistance l'existence de sa femme et de son enfant rangés à Lalibela. Good j'ai fait, t'as raison, let's change female, en pensant au 82ème peuple se baffrant de foutre.


Au creuset de ce pays reprendra le feu qu'il faut.
On y jette les graines dans une tôle, à même le foyer. A cette flamme ravivée la réaction de Maillard donnera son meilleur, développera les saveurs. Goût inimitable d'hémolymphe mélangée de sang, caramel du feu, sucre lent de la graine. Comme ma peau commence également à blondir, brunir, bientôt noircir, j'espère pour bientôt les mots qui tellement font défaut...

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Il ne faut jamais dire, Je le ferai demain, parce que demain, nous serons sûrement fatigués, disons plutôt, Après-demain, pour nous ménager un jour d'intervalle, afin de pouvoir changer d'avis et de projet, pour plus de prudence encore, disons, Je déciderai un jour que le moment est venu de dire après-demain, et ce ne sera peut-être même pas nécessaire, si la mort, qui met fin à tout, survient avant pour me libérer de ce compromis, qui est bien la pire chose qui soit au monde, une liberté que nous refusons.