mercredi 27 janvier 2016

AF237 - 27 janvier : s'il fallait une omélie

C'était toutes les heures du monde, toutes les fuites, toutes les étincelles...
Ce n'était rien, juste l'écho de mes pérégrinations dans le foutoir des verbes. Des heures vécues, des heures perdues, horizons splendides, femmes aimées, courant surmarins, jetstreams en fusion, échos de l'âme jamais reposée, et pourquoi se reposerait-elle ? 
Jusqu'à maintenant, jusqu'au terme, puis encore après, il faudra parler, toujours. Il faut écrire, encore. Dialoguer, je ne sais pas. Car signifier reste de la treizième importance. A quoi sert de chercher un sens que personne ne souhaite, alors que la vie exige furieusement qu'éclate la joie ? 
Ecrire sans même savoir où aller. Encore.
Aller sans savoir, ni où, ni pourquoi. Toujours !

Désormais il n'y a plus même l'idée de départ, de tous ces départs.
A peine les mots de l’introït qui initièrent si vivement cette longue série d'échos:
E uma nuvem fechada está no centro do seu corpo. Então Blimunda disse, Vem. Desprendeu-se a vontade de Baltasar Sete-Sóis, mas não subiu para as estrelas, se à Terra pertencia e a Blimunda.
C'était à Tokyo ou sur le Fujiyama, quelle importance ?
Tous nous avons un message, un endroit, un envers, et tous nous tombons et finirons par nous taire. D'ici là, il faut cracher. Et plus longtemps tu vivras, mieux tu verras le monde tel qu'il est. Comme une grande ombre !


Ce furent quelques heures du monde.
Un peu de leur quintessence. Quelques mots. Un reliquat.
Restent ces signes que des robots parfois explorent. Un algorithme bègue s'essaye à deviner un sens... Il comprendra un jour qu'il convient de laisser les bouteilles à la mer. Celle-là comme les autres ne vaut que par sa danse surmarine.

Ne dérogeant rien ni de l'envol, ni du retour, c'était, ce jour, un atterrissage tardif.
Début février, avant-veille de départ. Encore un faux retour !
Jambe molle, œil crevé, bouche pâteuse, ventre gonflé, bile âcre. je tombais au sol comme appendice nécrosé de l'avion. Un reste de panique de l'embarquement subsistait à l'arrivée : il me fallait prendre la ville à temps pour déjà, bientôt, repartir.
Là faire l'amour, re boire du vin, 
ici vivre, quoi,
être, fêter, enfin !
Cependant que la prochaine échéance, le navire, déjà s'imposait le plus pernicieusement du monde. Je le retrouvais là, en plein rêve. Ou là, encore, dans le coin de l’œil, me gardant éveillé. Infusant déjà son petit balancement délétère. M'enlevant un peu à la ville malgré le précieux espace neutre de la vacance...


Avant même de flotter j'avais déjà perdu pied. A force de retours l'absence faisait doucement toute la place autour d'elle. Comme un souffle glacial dans la foule, créant le vide dans l'amas des chairs. Au milieu de ce trou, plus rien. Que l'absence, de contact et d'idée, de réflexion, d'action tout autant. Balancement léger, houle maudite ! Ce vide flottant devient le centre de l'être, de la vie. Je n'y suis plus. Pour personne, ni moi non plus. 
Comme la carambole,
éternellement attirée par le soleil,
ou le fanal arrière de tous les derniers trains ?

La distance ne révèle rien. Elle distend. Les rues les places les gens la chaleur du lit même rejoignent une impossible mythologie. Caresses des souvenirs ! Du lointain parfois reviennent comme des échos, des viens-ci, viens-là, souviens-toi. J'avais promis d'y revenir et d'y vivre, mais m'en trouvais, désormais, plus lointain que jamais. 
Pour ça, pour rien, les retours se font plus durs. D'un navire ou d'un aéronef, toujours moins d'amer. A terre, moins de repaires. Où le partenaire, où le complice ? Où, désormais, la maison, la grotte, le hogar, le refuge ?
Ils répètent toujours que dans un monde sédentaire on regarderait pousser les fleurs, ce serait chatoyant, rutilant, lumineux. on rêverait de la niche, du panier, du prochain repas en caressant le tire-bouchon ?
Je savais le mensonge avéré.
Croyais savoir voyager, quelle erreur !
Continuais de vivre, hypothétiquement.
Par tranche de dix heures par série de trente tic tac tic tac.
Refusant de rentrer, pourquoi chez soi ?, jamais sédentaire
dans la violente compassion, l'empathie de mes semblables
je m'imagine dans ma cuisine comme toi dans la tienne
reliefs de repas, bouteille, et verres,
enfants qui dorment,
aucun objet, aucune personne, aucune forme, aucun principe ne sont sûrs, tout est emporté dans une métamorphose invisible, mais jamais interrompue, il y a plus d’avenir dans l’instable que dans le stable, et le présent n’est qu’une hypothèse que l’on n’a pas encore dépassée.

___
Mais s’il pense, un beau jour, avoir eu l’idée juste, il s’aperçoit qu’une goutte d’une incandescence indicible est tombée sur le monde, et que la terre, à sa lueur, a changé d’aspect.

samedi 16 janvier 2016

TO3041 - 16 janvier : après la déroute

Peter Pan était encore tiède lorsqu'un soir, dans cette même ville, une autre guerre fut déclarée. Une guerre où il n'était plus question ni d'âge, ni d'homme, ni de femme.
Ou plutôt, le contraire. Il n'est soudainement plus question que de ça. Les femmes, les homme, la vie toute entière en point d'interrogation. Ce soir là, alors que les uns faisaient la fête pour se prouver vivant, quelques autres mal lunés, un peu sous-hommes, vinrent injecter la mort dans le tissu urbain. D'une pétarade, arrêtèrent tout : la musique, les conversations, la vie, le reste...

Tout bien désemparés, les vivants restent là, cherchent des mots. Quand il n'en est sans doute aucun. Rien qui décrive bien la douleur et la mort, le sang, pas un peu pas beaucoup, le sang pur, partout, et la terreur. A quoi bon ? C'est un peu d'irrationnel qui a surgi là. La pièce tournoyante s'est fichée dans nos corps et tourne désormais, vrillant nos nerfs, arrachant les chairs.



Voilà Paris dans l'année nouvelle, complètement meurtrie et parfaitement bien portante. La terreur n'a pas de mots, et les mots sont difficilement impressionables. De fait, ils craignent rien, les mots.
Ne subsistent que quelques éclats de verres et des monceaux de fleurs fanées.
Dans cette ville des hommes en ont exterminé d'autres, et la vie continue. La statue-république, un peu ébranlée, tend plus haut le bras, plus vif l’œil, reste vaillante ! Son cortège de mémoires, bougies, gerbes, mots, souvenirs, semble intarissable. Tout juste subsiste-t-il comme une odeur de sang mêlé de larmes...
La question n'était plus alors de savoir si l'on est vivant ou mort, elle est juste : de continuer. Tu vas ? Je vais. Allons tous, ceux qui ne peuvent plus marcher, plus respirer, plus vivre, on vivra pour eux. Nous garderons précieusement leurs noms. Vivrons double, ferons l'effort.

Après le choc, ce retour à paris était tout malaisé.
Plus solide la solitude, impossible la séduction, absents tous et toutes, que faire ? Je patientais en léchant la crème au fond de ma tasse. Patientais vide d'espoir, et aucune jambe, aucun nouveau contact, rien n'affleurait à la surface du flot urbain que ... le flot urbain lui même, cet amalgame de choses, de rien, de vide, enfin...
Bien qu'absent des désastres du 13 novembre, je surprenais mes mains explorant le corps à la recherche d'une blessure, quelque improbable stigmate. Il régnait une immense débandade. Je n'aurais plus su dire alors quel organe servait encore au plaisir dans ce foutoir de corps.


L'année débutait toujours.
J'ai cherché le pouls de la cité. Bien faible, mais régulier, si bien que ce ne fut qu'une question de jours pour que la statue se relève, reparte d'un rock endiablé, shootant dans les kalachs mal rangées à ses pieds. La fête reprit, tout le monde en était, qui boitant encore, qui léchant ses plaies, tous de plus belle.
Comme janvier commençait à passer, quelques repères de nouveau bien établis, elle me fit : va, file, fuis un peu et reviens vite. Nous repartions sur de bonnes bases ! Ainsi je filais. Brièvement. Juste l'affaire de quelques parallèles.

Au retour elle était là, forcément.
Plus brillante. Plus tangible que jamais.
La carlingue a encore remué un peu, tourné deux trois fois et nous a recraché là : c'était le fin fond du tarmac d'Orly, un samedi soir de fête. Filez avant que je ne change d'avis !
Comme il s'agissait d'un avion en mousse, nous fûmes invités à un tour gratuit sur le tarmac. Vu l'heure avancée, inutile de débattre, nulle affaire cruciale ne se jugerait plus ce soir. Il n'y a plus qu'à s'occuper un peu jusqu'à la fin de la nuit...

A cette heure les premières bouteilles, les meilleures quilles sont tombées. Désormais ils dansent, c'est sûr, pendant que le bus ADP se traîne au franchissement des taxiways. La soirée bat son plein, chacun aura établi ses marques, posé jalon, campé là dans son ivresse. Arriver maintenant ne sera plus l'occasion que d'un survol léger - plus rien à tenter, manger, boire, prendre, que le bruit et les ondes, quelques restes épuisés qu'entourent des collines de mégots tièdes.



Aussi, sans que j'aie rien à y prendre, je m'attardais encore un peu vers le tapis vomisseur de bagages. Histoire de mieux savourer le retard. Le temps, surtout, d'un dernier barouf auprès d'Izelle, petite souris dénotant dans la carlingue, qui voletait là comme une dernière fragrance de cette balade. Je l'abordais, initiais le protocole d'usage, tirant quelques poncifs, variations en do des tentatives d'usage, reçus un-deux sourires et laissais un numéro. Quand elle m'eut bien définitivement échappé commença enfin la dernière ligne droite vers la ville éternelle...

Le téléphone a commencé à vibrer gaiement, exprimant tout l'enthousiasme d'un passé récent, oblitéré. S'y entendaient quelques échos de la fête, dernier portique de la nuit, où chercher la preuve du vivant, échouer avec un verre, secouer l'air frisquet ? 



Pour prémisse la soirée commença aux échos d'une bande de joyeux drilles, chez Adel. Cent mètre plus loin la rue Alibert se reposait encore. Dans quelques retour, le Carillon sera rouvert. Alors toute tristesse bue, on posera le coude vrillé, submergés par cette simple victoire d'être toujours là, forcément. 
C'est à ce retour, comme les circuits reconnectent, qu'éclate l'évidence, que portent finalement les coups idiots, échouant derechef à engendrer la peur. C'était au bout de la rue. Ils étaient fervents, cons et armés. Ils ont tué et perdu. On est là, Adel sert encore quelques gobelets fatigués, bientôt la musique s'arrête...  

Ce n'était pas vraiment un retour.
Juste un passage, le temps d'un frichti, une étreinte, nouvelle valise.
Le passage d'un instant fugace et précieux de certitude.

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Voici la finalité prioritaire que l'on découvre dans nos fêtes, et voilà pourquoi on y est si heureux, si attentif : un beau duel et un bel ennemi, dont la puissance infinie nous révèle notre puissance infinie, puisque nous y résistons, puisque nous ne sommes pas encore morts ! Car nous devrions être morts, écrasés, depuis longtemps : notre constatation de non-décès, qui est au cœur de notre fête, nous ouvre des horizons infinis sur notre propre valeur : voilà qui est enivrant, voilà pourquoi on est graves à nos fêtes, même au sein du rire.