jeudi 9 janvier 2014

AF393 - 9 janvier : bois sans soif, voyage sans fin

C'est un ressort comprimé, mal détendu
Clac, puis re-clac, fait la valise. Alors elle s'ouvre et une petite pagaille se répand. Forme comme une colline de sable. D'ailleurs il y en a encore quelques grains, ici, là.

Le sable. Hantise du marin maniaque.
Gniii, gniiii faisait-il, grinçant les dents
secouant le balais - il y a encore du sable ici ! Gniii !

Et dans la valise ? Olala, pas lourd. Quelques vieux ossements, muscles froissés, idées détrempées. Une pagaille, je vous assure ! Avec ça, on va pas aller loin. S'asseoir, ouf ! Souffler, ah !
Mais encore ? Bah, rien. Du linge. Sale, forcément. Réminiscence lointaine d'un visage. Souvenir de l'horizon que je ne sais même pas dire.
Puis maintenant, il faut descendre. De l'océan jusqu'au canal, par les écluses de la ville : bars, cinémas et musées, les petits incontournables.

Tout d'abord, suivant un modèle que je ne savais pas être devenu complètement caduc, j'ai été caler deux pieds sous une table. Sourire, plaisir de jouer avec les tongs encore suspendues aux orteils.
Là, il convient de patienter un peu, détailler le menu du coin de l'œil. Peut-être à cause du maillot de bain, ou quelque vilain courant d'air ? Il faisait salement froid.
Toujours là, tentant encore de chercher une rime pour l'année nouvelle, une main devant le visage, l'autre tapant la table du plat, plap, plap, aaaah, qu'en sera-t-il de deux mille quatorze ?, attendre. Et toujours pas de serveur...


 
Alors le voisin m'a poussé doucement du coude. Attention, il a fait, ma bouteille est vide, et février déjà ! Merde. Déjà nouvelle, déjà ancienne, bientôt passée, année tu parles, voilà le temps de courir, organiser la survivance, refaire le plein de jaja et penser un avenir décent.
Un travail ? Des voyages ? Déjà réussir le retour. Comme le compas continuait de tourner fou, faisant un tour complet pour repartir pleine balle dans l'autre sens, dix tours !, vingt tours !, je plantais un nouveau tire-bouchon. Pour celle-ci 5 tours, 6 tours suffiront. Bouteille, fidèle compagnonne. Et la vérité, partout un peu, vraiment nulle part.

Est-ce la ville ou le voyageur qui trahit ? Il avait suffit de partir assez loin, assez longtemps pour : voilà. Faire comme tout perdre. Cette césure de l'an nouveau laisse à terre tout un petit bricolage précis d'arrangements avec la ville, ses hommes, ses femmes, sa géographie. 
Alors je tente un pas. Trébuche.
Un autre. Et tout bascule.
L'ivresse, non, le mal de terre ? Non. C'est la gravité même, le nord magnétique, l'ensemble des repères qui subtilement a glissé, comme celles-là sur ton visage, que j'essuie, que j'embrasse, encore glissée, sécrétion partie qu'on voudrait à toute force ramener à sa source, remettre en bon ordre comme les idées les rapports de toi, de nous, de tous avec le monde, à jamais chamboulés, plus jamais, merde ! Ce monde tant arrangé, si dérangé, qui convenait tellement bien.

1er essai - dans le néant du silence, retrouver l'équilibre
Il n'y a pas d'heure tout court en vrai.
Que des idées que des mots que des lettres.
Il y a la manière, il y a la durée, il y a la liste des trois vérités intraitables, qui valent chacune prise à part et, plus encore, cumul aggravant, d'être détesté(es).
Il y a cette autre valise, apparue dans la chambre, autour de laquelle je tourne, que je hume dans mon sommeil. Un peu familière, cependant inquiétante... Chaque nuit je l'ouvre en rêve, trouve la bombe, le néant, les petites culottes, une maison dans la maison. Mais quand je finis par me décider à l'ouvrir, janvier avait cessé et elle était partie.



Fallait être bien gentil aussi pour imaginer que : 2200 miles nautiques, toute cette eau, tous ces poissons, et rien n'aurait bougé ? Tout semblait presque à sa place pourtant, la tour, la garce, le centre. Mais... La précession ! Et l'équinoxe !
Comme une montre démontée et jetée en vrac, chaque pièce bougeant encore d'un vieil élan perpétuel, ou roulant au sol jusqu'à ce trou dans la chaussée ?, plus grand chose ne subsiste. Dans la somme de toutes ces petites modifications qui laissent tout pareil et complètement différent, faudrait chercher.

Or à ce moment le serveur est arrivé, enfin. Les serveurs font ça, ils arrivent, j'arrive, il arrive. J'ai tenté un "Paris, comme toujours" mais il est resté là, louche en diable. Son regard, déjà, mi-étonné, mi-amusé. Puis violent. C'est toi, il a fait, le responsable de ce foutoir ? Et renversant le plateau de cafés froids, arrachant son tablier, il est parti.
J'ai gueulé, hein. Une gueulante de principe. Et un peu plus. Reviens abruti ! Mon café ! Mon jus d'orange ! Mais dans le fond, je savais qu'il avait juste.
Le chef, convoqué prestement, m'a expliqué. Cette longue absence. Tout ce temps. Les changements votés après la réorganisation, l'autonomie réacquise à chaque être, l'attribution d'une femme et d'une valise qui vous attendent dans la chambre monsieur, il a expliqué, c'était ça, c'était elle, voilà les nouvelles règles.



2ème essai – homéostasie
Avant tout, l'homéostasie. L'art de pasteuriser les quatre secteurs du quadrant. Javel et ammoniac. Laisse le vide gouverner ta vie. Avant tout : ne pas re-écrire, rien re-reprendre.
Laisser les mots établis faire leur lit : le piètre reste ici, le dédain trouvera sa place, chaque chose a besoin d'un nom pour être. Puis si le manque des mots pour faire écho ménage ici, là, un vide, avec le temps, la distance, le vide même deviendra objet.
Désormais plus grand chose ne semble établi. Les mots ont grandis, suffisait de partir et laisser faire ! Le tableau, n'habitant plus ni l'un ni l'autre espace de jonction reste seul à se regarder lui-même. Il se demande même pas quel est son nom. Il tableaute, simplement.
Désormais revoilà Paris, et d'autres mots, des mieux, des pas pires, des vieux, usés, des pas mieux que d'autres, des mots en pure perte, des mots déjà filés, soufflés dans l'air glacé.

Voilà comment on se retrouve un jour à tenter refaire une place dans cet océan de mots méconnaissables. En pousser un, quelques autres, s'installer inconfortablement ballotté par la houle qui virgule, qui exclame, qui trois petit pointe. Dormir ? Pas question.
Il faut recomposer avec tout ça, nouvelle année, nouveau verbe. Ou tout raser, reprendre à zéro, page blanche, virginité originelle ?

Troisième essai - sénescence
Comme je vais directement au comptoir causer au chaman de service, il fait, nt nt, inutile de rien dire, alors un croissant au beurre apparaît entre nous, flotte dans l'air sur une drôle mélodie. Waow. Très fort. Voilà quelque chose d'ordre deux, un retour plus puissant que le retour, un re-retour dans une nouvelle année.
Foin de miracle, je chope le croissant. Avale sans mâcher, gloups, puis mâche la bouche vide, parce que tout à l'envers reste le credo, parce que rien ne vaut plus qu'avant, parce que le présent advient toujours et ça fait trois putain de semaines que je suis rentré dans ce rade, merde, et je pète la dalle !

http://www.article11.info/?Sur-l-Eloge-de-la-fuite-ou-la

Un petit doute subsiste cependant. N'y a-t-il pas une manière de mieux faire, une manière de ne pas faire pire, une voie pour être différent ? Un truc qui ferait que tu reprends pied en ville comme si le départ n'avait jamais eu lieu. Comme un petit appareil de syntonisation immédiate, tu le branches et zhou, l'absence est résorbée. Comme un lien virtuel, complet et permanent, rendant la ville plus présente encore qu'au contact, malgré la distance.

Au final, supprimer la ville, il ne reste plus qu'un homme et une femme, supprimer ceux-là il n'y a plus de ville, plus rien, que le retour. La ville, quand elle a pris naissance, acquiert sa vie propre, une vie qui est du domaine de l'imaginaire, une vie qui ne vieillit pas, une vie en dehors du temps et qui a de plus en plus de peine à cohabiter avec l'être de chair, inscrit dans le temps et l'espace, qu'on avait croisé là, souriante, gratifiante, biologique...

le corps nu a la couleur du parquet, savais-tu ?
le cœur nu a la couleur du bois brut
la peau couleur bois dans l'espace nu roule,
se relève, marche de long en large
la nudité parfaitement à l'aise emplit tout l'espace,
traverse un siècle de langage